• “Est-ce que je suis heureux ? Pourquoi tant de questions ?“

    “Est-ce que je suis heureux ? Pourquoi tant de questions ?“

     

     

     
	© Istock/miroslav_1

    © Istock/miroslav_1

     

    Chaque semaine, le psychologue et psychanalyste Jacques Arènes répond à une interrogation existentielle ou spirituelle. Pour lui poser une question vous aussi, écrivez à : j.arenes@lavie.fr.

    Est-ce que c'est ça que je veux ? Me sentir incomplet ?

    Me sentir incompris ?
    Me sentir incompétent ?
    Mais incompétent pour quoi ?
    Pour l'école ? Pour leur beau diplôme ?
    Qu'est-ce que ça va m'apporter ?
    Une jolie femme que je rangerai dans une jolie maison ?
    Que je quitterai chaque matin pour ma jolie voiture ?
    Et que je rejoindrai chaque soir pour mes jolis enfants ?
    Tout le monde passe par l'école et combien "réussissent" ?
    Et d'ailleurs ils réussissent quoi ceux-là ?
    Pourquoi c'est leur style de vie qui sert de modèle au reste du monde ?
    Pourquoi on est malheureux d'être différent ?
    Pourquoi l'argent rend heureux ?
    Est-ce que je suis heureux ?
    Pourquoi tant de questions ?
    Est-ce que j'aurai des réponses ?
    J'ai vraiment besoin de tout ce que j'ai ?
    Est-ce que j'ai tout ce dont j'ai besoin ?
    Pourquoi je m'obstine à suivre un chemin déjà tracé ?
    Prendre le chemin des autres, c'est de la paresse ?
    Est-ce que je dois en tracer un nouveau ?
    […] Personne ne m'écoute et personne ne me dit rien !
    J'ai besoin qu'on me dise qu'on m'écoute !
    Il faut que j'écoute ce qu'on me dit...
    Je veux être seul et loin de tout ça !
    Je veux être dans la foule et sentir son cœur qui bat !
    Je veux sentir mon cœur battre en solitaire...
    Je veux sentir mon cœur battre pour une autre...
    Je ne peux pas finir sur ces mots...
    Si, bien sûr ! J'emmerde les mots !
    Les mots, ils créent des questions...
    Mais ne veulent pas y répondre !"

    Bonjour, 

    Aujourd'hui, j'ai découvert votre site et je n'ai pas pu m'empêcher de lire quelques-unes de vos réponses philosophiques qui m'ont toutes beaucoup touchées. J'ai écrit le texte ci-dessus il y a presque 3 ans en imaginant, peut-être naïvement, que cette vision du monde qui m'accablait changerait au fil des années... Cependant, j'ai atteint la vingtaine en un battement de cil, sans que rien dans mon état d'esprit ne me laisse croire que cette conception de ce qui m'entoure s'estompera un jour. Je n'arrive plus à faire confiance aux autres et quand j'y parviens, je suis déçu. Je n'arrive plus à me faire confiance et quand j'y parviens, ça ne dure pas. J'ai le sentiment d'être aspiré par un cycle qui, par alternance, me donne une force incroyable pour tester de nouvelles choses ou réaliser mes projets; ou qui m'empêche d'avancer. Je suis conscient de ne pas être le seul à connaître ce genre de tourments mais je n'ai personne à qui en parler sereinement.

    Ceux qui m'entoure ne sont pas particulièrement inquiets de leur avenir (personnel ou professionnel) et/ou sont capables de progresser sans tiraillements. 
    Avec le recul, je me rends compte que je réfléchis trop pendant que les autres agissent. J'ai vécu seul avec une mère tantôt dépressive, tantôt inactive... Et j'ai cette affreuse crainte que ces caractéristiques ne déteignent sur moi malgré tous les efforts que j'ai pu réaliser pour m'en détacher. Elle vit dans la dépendance, la peur du changement et des autres, la dévalorisation perpétuelle de soi... Voici le modèle que la vie m'a attribué. Je ne lui reproche rien, si ce n'est de m'avoir répété sans cesse qu'elle n'est finalement qu'un "anti-modèle". Pourtant, je ne pense pas qu'un enfant puisse se construire en totale opposition avec l'image parentale. Finalement, je souhaite arrêter de tout intellectualiser. Je voudrais simplement vivre sans que réfléchir excessivement au sujet de mes relations, mes projets, mon futur. Je veux découvrir le monde sans me soucier de tout ce qui peut me tourmenter aujourd'hui...
    Cordialement, Hugo.»

     

    > La réponse de Jacques Arènes

     

    Vous mettez en avant beaucoup de paroles qui tournent en rond - j’en ai coupé une partie - et votre constatation très simple : depuis 3 ans rien n’a bougé. Est-ce si important d’ailleurs, que cela « bouge », si c’est seulement un tumulte qui ne débouche sur rien ?

     

    Trop de questions aussi. Votre diagnostic est le bon, il faut arrêter les questions. Parce que la plupart n’ont pas de réponse. Et elles tournent donc sur elles-mêmes et continuent leur errance. Plus que des questions, il vous faut des réponses. Celles-ci existent quelque part, mais elles suscitent en vous de nouvelles questions : sagesse, paix, folie, tout cela tourne de nouveau en rond comme des mots instables, sans réelle signification. En fait, les réponses ne doivent pas être seulement des mots ou de vagues notions que vous triturez à l’infini, à l’instar de ces images un peu vides que poursuivent ainsi beaucoup d’entre nous : école, diplôme, conjoint, voiture. Ce ne sont que des images. Si vous dites école, je vous réponds savoir et réflexion ; si vous dites diplôme, je vous réponds expérience et compétence, voir vocation ; si vous dites conjoint ou compagne, je vous réponds rencontre. Je vous réponds donc par des termes dans lesquels je cherche à mettre de la densité, de la présence. Mais, ce que je vous réponds peut aussi être recyclé dans la ronde des mots et des nouvelles questions. Et cela ne fera donc pas sens. Cela dépend de vous alors. Pour qu’il y ait du sens, il faut de l’épaisseur, de la pesanteur. Il faut que les mots prennent du poids et deviennent charnels.

     

    Cela n’est pas le cas pour vous. Les réponses que j’évoquais plus haut, sont réelles et charnelles. Elles ont une force qu’il faudrait saisir au vol. Et votre souffrance consiste donc en ce manque de densité, cette insoutenable légèreté. Vous êtes sans doute « léger » parce que le réel est douloureux, difficile à affronter.

     

    J’évoquais la semaine dernière l’idée que le sens est à la fois donné (légué) et créé par chacun. Il est créé autant qu’il est trouvé. Le sens est, pour partie, déjà là. Ce qui vous fut donné est trop lourd. Votre mère dépressive, qui se définit elle-même comme un contre-modèle, votre mère dépendante et sans mouvement vous pèse. A qui vous arrimer alors, pour devenir moins « léger » ? Elle est lourde de sa souffrance, mais elle est aussi légère parce qu’elle ne cherche pas à peser sur sa propre vie, même si elle exerce une pression sur la vôtre. Peut-être pouvez-vous vous arrimer à ma parole pour commencer. C’est ce que vous cherchez, une rencontre, une parole qui vous ancre, qui commence à vous faire entrer dans l’univers des réponses. Les réponses, si elles sont denses et charnelles ne sont pas des certitudes ni des sécurités, mais des mots qui ont pris du poids, qui vous soutiennent, et qui, même s’ils ont leur zone d’ombre ou d’incertitude, vous donnent envie d’habiter la précarité créative de la vie. Vous avez atteint la vingtaine en un battement de cil, mais ce n’est pas rien, un battement de cil. Même en un instant, un univers pourrait se déployer…

     

    En attendant, tout cela tourne en rond. Parce que cela tourne aussi beaucoup autour de vous. Il vous faut vous décentrer. Vous l’énonciez très bien il y a trois ans : « Je veux sentir mon cœur battre pour une autre... » Vous le savez, les réponses ne sont pas en vous, surtout dans votre configuration actuelle où cela tourbillonne sans vraiment s’incarner. Je vous souhaite donc une vraie rencontre. Cela ne dépend pas seulement de vous. Encore faut-il vous ouvrir à cette rencontre…


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